La voie du sabre
La parole est au Ken-Geki

L'épopée des samourais...
Les films de sabre japonais ont alimenté les fantasmes et l'imaginaire des nombreux spectateurs japonais, et n'ont jamais laissé de marbre les spectateurs étrangers.

Plus familièrement baptisé Chambara, contraction des onomatopées "
chan-chan bara-bara " exprimant le son que fait le sabre qui déchire la chair, les films de genre regroupés sous le terme de Ken Geki contiennent des thèmes chers aux japonais, et une lecture à différents degrés de ces films peut se révéler extrêmement riche en enseignements.

Ces films nous narrent les aventures plus ou moins romancées des
Bushi (terme établi par le shogun Tokugawa au XVIIe siècle), plus connus en occident sous le terme générique de Samourais. Le leitmotiv de ces oeuvres est l'illustration du Bushido (la Voie du Guerrier) et du respect inébranlable des samourais pour celui-ci (il leur était en effet préférable de le respecter, sinon 'Couic'! (le seppuku, éventration rituelle pour le non-respect du Code d'honneur, ne devait pas être une partie de plaisir).


D'autres films rassemblés dans ce genre cinématographique nous narrent diverses aventures de ronins (les errants) des samourais sans clans ni maîtres, méprisés par les autres Bushi, vivant dans la pauvreté et le plus souvent devenus mercenaires. Ils sont souvent montrés comme des persécutés ou des martyres.
Ce furent ces marginaux, ces parias, ne respectant plus à lettre le code du samourai qui remportèrent les suffrages du public.

Tous ces hommes étaient les seules personnes de la société japonaise à être autorisées à porter le sabre, jusqu'à l'ère Meiji (1868 - 1912).

(D'ailleurs, l'interdiction d'être armé força le peuple à utiliser des instruments agricoles pour se défendre (serpettes, fléau pour le blé) ou leurs mains nues (naissance du Karaté d'Okinawa). La nouvelle ère nippone sonna le glas des bretteurs.



Les 7 samourais

Au début il y avait...

Une pièce de théâtre. En occident, le théâtre fut l'ancêtre du cinéma muet, ce fut aussi le cas au Japon. Les pièces de Sawada Shôjiro présentaient des combats de sabre bien plus cadencés et réalistes que ceux des pièces de Kabuki.
Rapidement, elles devinrent populaires, la fascination du peuple pour les samourais ne s'étant jamais estompée.

Les premiers films qui mettent en scène des combats de sabre datent des années 20.
Il n'y avait souvent qu'un seul combat: les spectateurs piaillaient d'impatience en attendant que les antagonistes s'entre-tuent lors du
Dai-Ketto (le grand duel).

Ce fut le réalisateur
Kanamori Bansho qui révolutionna le genre en sortant les scènes de combat du carcan du Kabuki: influencé par le cinéma américain et par les pièces de Sawada, le montage de ses oeuvres dynamisait de façon inédite les combats: le public fut aux anges, les critiques ne voyaient aucun avenir à ce genre. (L'histoire aurait- elle tendance à se répéter?).

Entre les deux guerres, le personnage préféré était
Tange Sazen: interprété avec brio par Okochi Denjiro dans 'Le pot de un million de ryô' (1935), le héros borgne et manchot incarnait la quintessence du bretteur de chambara.

Le passage du
Grand Bouddha:

Roman en trente volumes écrits entre 1913 et 1930 par Nakazato Kaizan. Cette oeuvre littéraire, adaptée à maintes reprises, offrit au genre ses plus beaux fleurons. Nakazato nous narre les déboires de Tsukue Ryunosuke, ronin à tendance belliqueuse sombrant peu à peu dans la folie. A la fin, enragé, il tue innocents et ennemis sans distinction ni état-d'âme. Cette furie meurtrière finira par le conduire à la mort. L'acteur Okochi Denjiro fut le premier à incarner le sabreur psychopathe en 1935 dans un film éponyme du roman. Il faut ensuite attendre l'âge d'or du chambara pour retrouver l'anti-Musashi.



Okochi Denjiro

C'est la guerre...
Bien entendu, en temps de conflit, la censure est intraitable: les pessimistes et dramatiques ronins disparaissent, ne laissant le champs libre qu'à d'emblématiques figures.

Les aventures romancées de
Musashi Miyamoto par Yoshikawa Eiji, parurent dans le quotidien Asahi Shimbun entre 1935 et 1939.


MifuneToshiro incarne Musashi Miyamoto

Deux volumineux romans rassemblèrent ces écrits:
La Pierre et le Sabre et La parfaite lumière.
Bien entendu, le positivisme de ce personnage haut en couleur ne pouvait qu'obtenir l'approbation des censeurs.

En 1940, la première adaptation du roman de Yoshikawa par Inagaki Hiroshi fut projetée sur les écrans japonais: Chiezo Kataoka jouait alors le fameux escrimeur.
Quatre ans plus tard, Mizoguchi Kenji donna sa version.

Le conflit s'achève...
Les américains contrôlent le cinéma et interdisent les chambaras.
Il faut attendre Kurosawa pour une renaissance du chambara en 1954: bien que Les Sept Samourais (chef-d'œuvre absolu, répompé par John Sturges avec Les 7 mercenaires) soit un film à cheval entre le film de sabre (Ken-Geki) et le film d'époque (Jidai-Geki), il stigmatisme tout de même les principaux éléments inhérents au premier genre.

Dans la même mouvance émergea la meilleure adaptation au cinéma de l'histoire de Musashi: la trilogie réalisée par Inagaki Hiroshi mit en valeur le jeune Mifune Toshiro (La Légende de Musashi (Miyamoto Musashi, 1954) / Duel à Ichijoji (Ichijoji no Ketto) 1954 / La Voie de la Lumière (Ketto Ganryujima) 1955). Le premier film fit impression en occident et obtint en 1954 l'Oscar du meilleur film étranger.

Le cinéma japonais tenait son Alain Delon: Mifune Toshiro est le plus célèbre acteur japonais (il faudrait tout de même surveiller de près la popularité de Kitano Takeshi qui ne cesse de s'accroître.

Ce dernier a d'ailleurs incarné un samourai dans
Gohatto (1999 (sorti en France sous le titre "Tabou" en mai 2000) d'Oshima Nagisa, film difficilement rattachable aux chambaras mais qui comporte toutefois des scènes d'escrime magnifiques).

Les années de la maturité...
L'âge d'or du chambara peut donc être déclaré. Le Japon va connaître la période qui fut la plus fastueuse pour son cinéma, entre 55 et le début des années 70; naturellement, le chambara connut aussi ses oeuvres majeures.

Kurosawa nous gratifia des chefs-d'oeuvre que sont La Forteresse Cachée en 1958 (film transposé (plagié dans ses grandes lignes!) plus tard par Georges Lucas pour créer la Guerre des Etoiles), Sanjuro (1961) et Yojimbo (1962, repompé (encore? C'est une manie!) par Sergio Leone avec Pour une poignée de dollars et re-repompé par Joel Silver avec Last Man Standing avec Bruce Willis).
Par juste retour d'ascenseur (ou par culpabilité?)
Lucas avec Coppola furent les producteurs de Kagemusha, alors que Kurosawa était dans un sombre période.

On vit ainsi se côtoyer des films relatant les égarements de Tsukue Ryunosuke et les aventures épiques de Musashi.

Le passage du Grand Bouddha est porté à l'écran en 57 par Uchida Tomu ( Ryunosuke est incarné par Kataoka Chiezo). En 1960 et 1961, en deux parties, c'est Misumi Kenji puis Mori Issei qui offrent la meilleure mouture avec le charismatique Ichikawa Raizo.
Non moins excellente fut la version d'
Okamoto Kihachi en 1966 avec Nakadai Tetsuya dont la composition remarquable fait encore froid dans le dos. Entre 1962 et 1965, Uchida Tomu inscrit sur pellicule une nouvelle version de la vie de Musashi, une nouvelle trilogie.

Le chambara s'épuise...


Peu à peu, le genre tombe en désuétude, le public préférant s'extasier devant les récits de Yakusas et un nouvel acteur emblématique de ces films: Takakura Ken (le policier japonais de Black Rain).

Mais des réalisateurs talentueux comme
Gosha Hideo produisent encore quelques perles. Ce dernier réalise en 1964 Trois samourais hors la loi puis Sazen Tange en 1966.
Son chef-d'oeuvre
Goyokin, est tourné en 1969 avec Nakadai Tetsuya, avec un duel final dans la neige époustouflant, aussi esthétique que sauvage.

Parallèlement, Kobayashi Masaki s'attaque au Bushido, en dénonçant la cupidité des puissants qui utilisent le code du samourais pour parvenir à assouvir leurs égoïstes désirs de pouvoir et de puissance.

Seppuku (Harakiri) en 1963 est une oeuvre majeure: Kobayashi, avec ce tour de force balaye bien des conventions et la fascination aveugle que l'on peut éprouver envers les samourais et le Bushido. Soyez averti, Kobayashi vous mènera tranquillement en bateau pour mieux vous déstabiliser!

Il parachève sa filmographie en réalisant
Rebellion en 1967 (avec Mifune Toshiro). La dernière grande série de films narre les aventures du masseur aveugle Zatoichi, incarné avec brio avec Katsu Shintaro (frère de Tomisaburo Wakayama qui personnifia le dangereux mercenaire Ogami Itto).
Près de 24 films sur
Zatoichi furent produits. Mais rapidement, c'est vers la télé qu'il faudra se tourner pour assister à de nouveaux épisodes de la saga de Zatoichi.

La seule oeuvre notable durant les années 70 fut la série des Baby-Cart (Kozure Ogami).
Six films remarquables, adaptations d'un manga scénarisé par
Koike Kazuo (auteur de Crying Freeman) et dessiné par Goseki Kojima.

Ces films réalisés pour partie par
Misumi Kenji ne manqueront pas de surprendre un public peu habitué aux chambaras.
Mieux vaut réserver ces films à un public (adulte, c'est certain) aguerri au genre.
Ainsi, on pourra apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.

Il faut également noter que la série des Baby-cart fait une belle place aux femmes (surtout dans le deuxième opus avec un clan d'amazones-ninja extrêment farouches), fait suffisamment rare pour être signalé.

Un dernier épisode de Zatoichi fut réalisé en 1989 mais le tournage tourna au désastre. Un grave incident se produisit lors d'une scène de combat: l'acteur Katsu Shintaro ayant utilisé un vrai sabre, un cascadeur fut mortellement blessé. Le chambara est mort, vive le chambara!

Son héritage...


est sans conteste sa présence dans les mémoires de nombreux spectateurs et réalisateurs: l'influence sur ces derniers est incontestable (Georges Lucas en première ligne ne cesse de fantasmer sur ce genre: 'zouip zouip' fait le sabre-laser, 'Uze ze forsseuh Luke' dit Obiwan Sensei).
Le
Ken-Geki resurgit parfois de façon surprenante: Sergio Leone ne niera pas (il valait mieux d'ailleurs ne pas nier une telle évidence) que les films de Misumi Kenji l'ont fortement inspiré pour sa mise en scène et ses si célèbres cadrages (en effet, il suffit de voir un Baby Cart pour s'en rendre compte).

Plus récemment, c'est dans l'animation japonaise qu'il faut chercher de beaux films de sabre: Kamui no Ken (de Taro Rin) et Jubei Ninpucho (de Kawajiri Yoshiaki) sont de magnifiques long-métrages animés. A l'heure actuelle, les jeunes japonais se délectent des aventures animées d'un jeune ronin dans RurôniKenshin.


Le chef d'oeuvre de Kawajiri: Jubei Ninpucho (Ninja Scroll)

J'ai un petit faible pour la scène finale du film de John Woo A Better Tomorrow 2: un protagoniste se fraye furieusement à l'aide d'un sabre japonais son chemin dans une immense demeure, éliminant de nombreux mafieux comme Goldorak élimine des soucoupes! Ce passage a également traumatisé Tony Scott et Quentin Tarantino, puisqu'on le retrouve diffusé sur une télévision durant une scène du film True Romance.

Ceci me permet de conclure en constatant que le chambara a été assimilé par toute une génération de réalisateurs et de spectateurs à des degrés plus ou moins importants. Il faut cependant garder en mémoire que ce genre a une riche histoire et que son exploration permettra de sensibiliser le spectateur occidental curieux sur le mode de pensée des japonais et sur un passage de leur histoire : savoir lire entre les images de ces films peut-être tout aussi enrichissant que l'exploration de volumineux ouvrages. A vous désormais d'en tirer la substantifique moelle (et si vous n'avez toujours pas vu Les sept samourais (quoi, des hérétiques?), précipitez-vous, il n'est pas encore trop tard).


© viottip@hotmail.com

Bonne découverte...

Dans un film de sabre, on trouve...

Des geysers de sang...
Les personnages des chambaras et des films de ninja en dessins animés meurent de façon très graphique: un véritable geyser de sang surgit de la plaie ouverte par le sabre du héros.
La série de jeux vidéos sur Néo-Géo, Samourai Shodown vous permet même d'incarner des sabreurs qui infligeront de telles blessures.
Métaphore sur l'âme et la vie qui quitte le corps du mourant, cette éruption sangui-nolente est d'une puissance visuelle rare. Ce fut Kurosawa qui inventa cet artifice en 1962 dans le film Sanjuro
.

Le mercenaire Itto Ogami et son fils (Baby Cart)


Par la suite, il fut inévitable qu'au moins un adversaire trépasse en déversant des litres de sang.

La série des Baby Cart (Kozure Ogami (Le loup et l'enfant) adaptation d'un manga de Koike Kazuo) porta l'usage du geyser à son apogée.
Cette série atteint des summums de violence, tous les adversaires meurent en déversant d'impressionnants flots d'hémoglobine: mais le contexte et le ton du film justifient cette violence qui reste essentiellement graphique et ne doit surtout pas détourner le spectateur (adulte) de cette oeuvre immanquable.


Ichikawa Raizo
© Daiei

Zatoichi, le masseur aveugle qui manie la sabre à la perfection © Daiei

Dans un film de sabre on trouve...

La coupure en décalage...

Egalement incontournable, cette figure de style est une véritable marque de fabrique des Ken-Geki.
Pour l'illustrer, la scène d'ouverture du troisième film de la série des Baby Cart paraît exemplaire: Itto Ogami et son jeune fils sont dans une forêt de bambous.

Le père s'enfonce un peu dans la forêt, laissant son fils à l'écart.
Il marche et soudain, sort son sabre, exécute des mouvements très rapides avec son arme puis la rengaine. Rien ne se passe pendant deux ou trois secondes. Tout à coup, trois bambous ont l'air de se couper tout seul: trois espions ninjas accrochés en hauteur sur ces bambous tombent et succombent sous les coups impitoyables du héros.

Cette autre trouvaille visuelle a été adoptée par de nombreux réalisateurs, bluffant toujours le public. Le personnage Ray de l'école Nanto dans le manga du duo Hara Tetsuo et Buronson découpe ses ennemis avec ses doigts. Ils tombent découpés en tranches après que le héros leur ait déjà tourné le dos.
Dans le film Once Upon a Time in China II du Tsui Hark, le héros Wong Fei Hung (Jet Li, acteur principal du récent Roméo must Die) frappe avec son bâton les montants d'un immense échafaudage en bois puis recule. Son ennemi attend que tout s'écroule. Mais rien ne se passe. Bien entendu, l'édifice s'effondre au moment où l'adversaire de Jet li se précipite à sa rencontre.