LES YEUX GRAND FERMES
Un essai sur la violence de la jeunesse japonaise
par Viotti Philippe
(suite de la page une...)

L'école exerce une pression constante sur la jeunesse: leur vie est conditionnée par la réussite aux examens. Officiellement, ce sont près de 11000 incidents par an qui se produisent à l'école avec une augmentation de 20% chaque année.

La police qui rapproche ces chiffres aux méfaits commis par des mineurs constatent que leur augmentation est proportionnelle aux chiffres donnés par le ministère de l'éducation.

Mais cette agressivité, qui implique autant de filles que de garçons (nb: il est triste de voir que ce soit l'un des rares cas de parité sexuelle) s'exprime aussi hors de l'enceinte des établissements scolaires.

Combien sont ces parents qui finiront par avouer, comme certains l'ont déjà fait, que leurs enfants les battaient lorsqu'ils échouaient à un examen d'entrée.

 
Mangas et dessins animés ne constituent certainement pas un
danger pour les jeunes. En revanche ils constituent un parfait
bouc émissaire facilement identifiable et censurable.


"Hokuto no Ken"© Toei / "Unicorn no Otome"©Kodansha
 
La fausse piste

Jeux vidéo, mangas, dessins animés: ce fameux tiercé qui hérisse les cheveux sur la tête des parents français ne peut être mis directement en cause.

Je vais l'écrire en gros, il faut malheureusement parfois crier fort pour faire entendre la vérité: AUCUNE ETUDE SERIEUSE N'A JAMAIS DEMONTRE UN LIEN DIRECT ENTRE LA LECTURE OU LE VISIONNAGE D'UN MEDIA (films, jeux vidéo, dessins animés, mangas).

Les pédopsychiatres qui clament le contraire savent pertinemment qu'ils jouent avec la peur qu'ont les parents complètement dépassés par cette culture de genre (car il s'agit bien d'une culture) dont les codes esthétiques et narratifs leur échappent.

En revanche, ils peuvent être des facteurs déclencheurs chez des individus instables qui de toute façon seraient passés un jour ou l'autre à l'acte: car il s'agit bien d'une question d'individu: nourri assez jeune par des films gores, d'épouvantes, des jeux vidéos parfois très violents, votre humble serviteur n'a jamais été pris de pulsions violentes, bien au contraire.

On a aussi pris l'habitude de parler des Otakus (fans).
Mais les Otakus japonais sont bien différents des fans d'animation et de mangas qui ici, s'autoproclament fièrement Otakus.

Un véritable Otaku japonais s'isole dans un cercle d'intérêt qui va graviter autour d'une ou deux passion exclusives: peu à peu c'est l'isolement social le plus total. Certains deviennent ultra performants dans leur "spécialisation" (ils ont une vie virtuelle très intense mais une vie réelle inexistante). N'en déplaise donc aux "otakus" français, tout au plus sont-ils fanatisés par leur passion, mais ils s'isolent rarement comme peuvent le faire quelques jeunes japonais.

Les fans viennent tester les derniers jeux vidéo.

Bornes disposées en pleine rue à Akihabara


L'otakuisme vient de cette appréhension qu'ont les japonais de la confrontation et de leur peur de perdre la face: toute situation conflictuelle est soigneusement évitée.

Lors de mon dernier séjour, je l'ai constaté à maintes reprises: demandez donc pourquoi il est interdit de filmer dans une salle de pachinko, et vous verrez l'employé fuir plutôt que de vous dire simplement que le règlement de la maison l'interdit. Le succès de l'I-mode (le wap pas râté des japonais) ne dément pas cet état de fait: les jeunes préfèrent dialoguer via de courts e-mails envoyés grâce à leur téléphone rose fluo qui clignote, plutôt que de se parler en face.

Enfin, les otakus ne sont que très rarement violent.

 
La famille en cause

Car c'est de la démission parentale dont il faut parler: que ce soit ici ou au Japon, les parents baissent souvent les bras et laissent la télé ou internet éduquer leurs enfants.

Mieux vaut une tête bien faîte que bien pleine: on ne peut pas laisser quelqu'un devant internet en pensant qu'il deviendra plus intelligent: sans éducation, cette personne ira inlassablement chercher les mêmes informations sur les seuls sujets qui le préoccupent. La réflexion doit être éduquée, l'ouverture d'esprit n'est pas un état naturel, cela s'acquiert; et jusqu'à preuve du contraire, un ordinateur (tout comme un dictionnaire) n'éduque pas; il permet d'accéder à des informations.

La cellule familiale japonaise ne permet souvent pas un plein épanouissement de l'enfant.
Cas classique: un père qui va "faire l'échelle1 " avec ses collègues de travail (la vie de l'entreprise passe avant tout) qui rentre tardivement au foyer et une mère soumise qui accepte cela sans broncher.
Le père se charge de moins en moins d'éduquer ses enfants. La mère ne peut pas vraiment aider ses enfants à faire leurs devoirs à la maison.

Ceci s'accentue avec la désagrégation de la solidarité des quartiers. Jusqu'à une période récente, les grandes villes sont structurées en quartiers. De nombreux japonologues les ont même comparés à de véritables villages dans la ville. Tout le monde se connaissait. Il suffisait, pour retrouver quelqu'un, de se rendre dans un commissariat de quartier pour qu'on vous indique où habite la personne recherchée.

Ce temps est peu à peu révolu. Personne ne connaît plus personne, les voisins sont des inconnus; et les parents qui autrefois confiaient leur progéniture à de charmants voisins n'ont désormais plus personne sur qui compter.