Vous ne pourrez malheureusement jamais voir de nombreux
films (parmi les plus anciens de l'auteur) de Mizoguchi. Ce n'est que
(trop) tardivement que les copies des films furent conservées.
Auparavant, dès que le film avait terminé son circuit
de distribution, les bobines étaient détruites.
Seul espoir: qu'on retrouve un jour les bobines conservées par des personnes qui avaient été impliquées dans ces films (acteurs, techniciens, etc). Ce fut le cas pour Le fil blanc de la cascade (1933) qui fut sauvé des flammes in extremis par la productrice (et actrice) de ce film. Le film Hishio Kâ que Mizoguchi aurait réalisé en 1944 est considéré comme perdu. On peut espérer qu'un jour quelques bobines ressurgissent. Mais le temps fait son oeuvre destructrice et d'ici peu, toutes ces bobines se seront consumées d'elle même (à cause des procédés chimiques utilisés à l'époque qui ne garantissaient pas une conservation à long terme des oeuvres). |
MIZOGUCHI Kenji
(1898-1956)
En 1918, de violentes émeutes sément le trouble
à travers le pays: de nombreux jeunes prennent exemple sur la révolution
russe. Mizoguchi est exalté lui aussi et participe à des manifestations.
Durant l'une d'elles, il sera sévèrement frappé par les
forces de l'ordre puis incarcéré. La crise perdurant, Kenji
perd son emploi.
En 1920, la mère de Mizoguchi meurt à Tôkyô dans
la misère.
Toujours attiré par une formation artistique, Mizoguchi apprend à
jouer du luth. Il fait la rencontre d'un acteur qui va le diriger vers un
studio de cinéma. Ce sera celui de la compagnie Nikkatsu. Kenji débute
au cinéma... en tant qu'acteur.
Il ne suivit pas longtemps cette voie: en 1921, le réalisateur Osamu
Wakayama l'incite à devenir assistant-réalisateur. Ses convictions
socialistes imprègnent son premier film en 1922 (Ai ni yomigaeru hi
- Le jour où l'amour revient). La censure du gouvernement intervient
immédiatement.
Encore une fois, le destin frappe: c'est le grand tremblement de terre de
1923. Le studios de Tôkyô sont détruits. Il doit aller
à Kyôtô où la Nikkatsu possède d'autres lieux
de tournage. Autre lieu, autres rencontres. Il va cotoyer des intellectuels
qui vont le faire réflechir sur le mode d'expression cinématographique.
Il va alors modifier son approche du cinéma: désormais, ses
sujets seront mieux choisis et il va mettre à contribution les meilleurs
scénaristes.
En 1925, il manque de peu de se faire émasculer par une des prostituées
(jalouse) qu'il voit régulièrement. Il aura tout de même
le dos sérieusement blessé par des coups de rasoirs.
En fait, il est toujours fasciné par ce milieu. D'ailleurs, il va,
par le biais des descriptions du monde des prostituées montrer que
la femme est opprimée par les règles fascisantes instaurées
les hommes.
L'année 1928 fut l'année du premier suffrage universel (masculin)
mais fut aussi une sombre année pour la gauche japonaise qui fut opprimée
politiquement et militairement: Mizoguchi ne termina que deux films.
L'année suivante, la repression s'accentue et Mizoguchi, qui dénonce
la main mise des militaires sur le pays, est même assimilé à
un groupe de gauchistes progressistes. Il va assister à la lente bascule
du Japon dans le totalitarisme (crise en Manchourie, le Japon quitte la Société
des nations).
En 1934, Mizoguchi quitte la Nikkatsu. Il refuse l'offre d'Irie Sakako (Irie
Productions) qui voulait faire de Mizoguchi son réalisateur phare.
C'est finalement avec Masaichi Nagata et Isuzu Yamada qu'il va fonder la Daiichi
Eiga Production, toujours à la recherche de plus d'indépendance.
Désormais, il va poursuivre, non sans difficultés, son parcours
en réalisant des films qui à chaque fois se montreront soit
visionnaires, soit révolutionnaires. Et surtout, le Japon s'enfonce
dans la folie fasciste: le contenu de ses films, replacés dans ce contexte
témoignent de sa formidable intelligence et de son courage.
En 1936, le film "Les soeurs de Gion" est un succès populaire.
Mais la Shochiku a complètement raté la distribution. La Daiichi
Eiga est en difficulté et bientôt Mizoguchi se retrouve sans
emploi.
L'année suivante, la Chine est attaquée par le Japon, ce qui
signifie que de nombreuses restrictions vont être encore une fois appliquées.
La réalisation du film Roei no Uta en 1938 lui vaudra la haute considération
des autorités: ce film de commande pour soutenir l'effort de guerre
ne reflète en rien les idées de Mizoguchi. Ce dernier ne milite
plus ouvertement pour ses idées humanistes.
D'ailleurs, les responsables de la Shochiku, la plus grande maison de production
cinématographique nippone, décident d'embaucher Mizoguchi en
1939, persudadés qu'il est maintenant "rentré dans les
rangs".
En 1940, ses films sont reconnus au Japon et il reçoit même des
prix du Ministère de la Culture. D'ailleurs certains de ses amis pensent
qu'il a des contacts avec le gouvernement.
En plein conflit mondial, une fois de plus Mizoguchi est mis à contribution
pour attiser l'élan patriotique des japonais. Il va tourner une nouvelle
version de la célèbre histoire des 47 ronins (Genroku Chûshingura).
Il va échapper à l'emprisonnement (de nombreux intellectuels
et artistes furent arrêtés) en réalisant une version de
Miyamoto Musashi et L'épée Bijomaru.
Après la fin de la guerre, la gauche japonaise reprend son élan.
Mizoguchi suit ce renouveau. De plus, la production cinématographique
nippone redevient dynamique.
Avec satisfaction, il voit les femmes voter pour la toute première
fois en 1946. Il tourne cette même année La victoire des femmes
(Josei no shori) qui est un véritable témoignage sur le souffle
de liberté qui s'était levé au Japon.
En 1949, le peuple et surtout les communistes ne supportent plus la présence
des étrangers. Les autorités vont sévèrement réprimer
le mouvement. Le milieu du cinéma n'est pas épargné.
Mizoguchi décide de ne plus tourner car il craint d'être emprisonné.
En 1950, il quitte la compagnie Shochiku. Ses faveurs vont aller du côté
de la Shintoho pour laquelle il réalise Le destin de Madame Yuki.
La Daiei est dirigée alors par un ami de longue date du réalisateur.
Ce dernier lui propose de diriger Mademoiselle Oyu. De plus, il lui épargnera
de nombreuses tracasseries avec les autorités en le protégeant
des répressions sociales jusqu'à sa mort.
En 1952, il réalise La vie d'Oharu, femme galante.
Les occidentaux découvrent ce grand cinéaste grâce au
Lion d'argent que ce film reçoit à Venise.
L'année suivante, il réitère son exploit en recevant
un Lion d'argent pour son film qui demeure le plus célèbre:
Ugetsu Monogatari (Les contes de la Lune Vague après la Pluie).
En 1954, L'intendant Sansho et Les amants crucifiés reçoivent
un Lion d'Argent au festival de Venise.
C'est en 1956 après avoir réalisé La rue de la honte
que le réalisateur succombe le 24 Août 1956 d'un cancer de la
moëlle épinière. Il est alors âgé de 58 ans.