Vous ne pourrez malheureusement jamais voir de nombreux films (parmi les plus anciens de l'auteur) de Mizoguchi. Ce n'est que (trop) tardivement que les copies des films furent conservées. Auparavant, dès que le film avait terminé son circuit de distribution, les bobines étaient détruites.

Seul espoir: qu'on retrouve un jour les bobines conservées par des personnes qui avaient été impliquées dans ces films (acteurs, techniciens, etc). Ce fut le cas pour Le fil blanc de la cascade (1933) qui fut sauvé des flammes in extremis par la productrice (et actrice) de ce film.
Le film Hishio Kâ que Mizoguchi aurait réalisé en 1944 est considéré comme perdu.

On peut espérer qu'un jour quelques bobines ressurgissent. Mais le temps fait son oeuvre destructrice et d'ici peu, toutes ces bobines se seront consumées d'elle même (à cause des procédés chimiques utilisés à l'époque qui ne garantissaient pas une conservation à long terme des oeuvres).
Les films muets étaient commentés en salle par des benshis (narrateurs). Certains avaient même plus de succès que le film qu'il commentaient.

L'avènement du cinéma parlant leur fut fatal.
MIZOGUCHI Kenji est né le 16 Mai 1898 à Tôkyô.

Son père était très modeste mais cela ne l'empêcha pas d'avoir de l'ambition. Il fit l'acquisition d'une petite usine, convaincu des ses dons d'entrepreneur. Malheureusement, après la guerre (1904) contre la Russie, le Japon est en proie à une grave crise économique qui ne laissa aucune chance au père de Kenji.

La famille est ruinée et doit désormais quitter son lieu de résidence pour s'établir dans l'un des coins les plus pauvres de la ville: le quartier d'Asakusa où se retrouvent désargentés, prostituées mais aussi de nombreux artistes démunis. Mizoguchi va observer avidement la vie que mènent les gens de ce quartier: devenu cinéaste, Kenji rendra hommage à cette faune hétéroclite et fascinante.

A l'école, le petit Kenji n'est pas brillant. Il y rencontre un certain Matsutaro Kawaguchi: plus tard, ce dernier travaillera comme scénariste pour Mizoguchi.

Ses parents décidèrent ensuite qu'il était temps qu'il fasse quelque chose de ses dix doigts: il devint apprenti auprès d'un peintre sur tissus de coton à Teneike. Il fut rapidement absorbé par son travail et décida de devenir peintre. Il travailla durement et décrocha un diplôme dans une Académie de peinture. Il a alors 17 ans. Ses études artistiques se sont poursuivies jusqu'en 1915.

C'est encore une période de crise (guerre contre les allemands) et il n'arrive pas à trouver d'emploi stable. C'est à Kobe qu'il va réussir à trouver un emploi intéressant: il fait des dessins publicitaires et s'occupe de la rubrique des faits divers pour un journal de Kobe.

MIZOGUCHI Kenji
(1898-1956)

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En 1918, de violentes émeutes sément le trouble à travers le pays: de nombreux jeunes prennent exemple sur la révolution russe. Mizoguchi est exalté lui aussi et participe à des manifestations. Durant l'une d'elles, il sera sévèrement frappé par les forces de l'ordre puis incarcéré. La crise perdurant, Kenji perd son emploi.

En 1920, la mère de Mizoguchi meurt à Tôkyô dans la misère.

Toujours attiré par une formation artistique, Mizoguchi apprend à jouer du luth. Il fait la rencontre d'un acteur qui va le diriger vers un studio de cinéma. Ce sera celui de la compagnie Nikkatsu. Kenji débute au cinéma... en tant qu'acteur.

Il ne suivit pas longtemps cette voie: en 1921, le réalisateur Osamu Wakayama l'incite à devenir assistant-réalisateur. Ses convictions socialistes imprègnent son premier film en 1922 (Ai ni yomigaeru hi - Le jour où l'amour revient). La censure du gouvernement intervient immédiatement.

Encore une fois, le destin frappe: c'est le grand tremblement de terre de 1923. Le studios de Tôkyô sont détruits. Il doit aller à Kyôtô où la Nikkatsu possède d'autres lieux de tournage. Autre lieu, autres rencontres. Il va cotoyer des intellectuels qui vont le faire réflechir sur le mode d'expression cinématographique. Il va alors modifier son approche du cinéma: désormais, ses sujets seront mieux choisis et il va mettre à contribution les meilleurs scénaristes.

En 1925, il manque de peu de se faire émasculer par une des prostituées (jalouse) qu'il voit régulièrement. Il aura tout de même le dos sérieusement blessé par des coups de rasoirs.
En fait, il est toujours fasciné par ce milieu. D'ailleurs, il va, par le biais des descriptions du monde des prostituées montrer que la femme est opprimée par les règles fascisantes instaurées les hommes.

L'année 1928 fut l'année du premier suffrage universel (masculin) mais fut aussi une sombre année pour la gauche japonaise qui fut opprimée politiquement et militairement: Mizoguchi ne termina que deux films.

L'année suivante, la repression s'accentue et Mizoguchi, qui dénonce la main mise des militaires sur le pays, est même assimilé à un groupe de gauchistes progressistes. Il va assister à la lente bascule du Japon dans le totalitarisme (crise en Manchourie, le Japon quitte la Société des nations).

En 1934, Mizoguchi quitte la Nikkatsu. Il refuse l'offre d'Irie Sakako (Irie Productions) qui voulait faire de Mizoguchi son réalisateur phare.
C'est finalement avec Masaichi Nagata et Isuzu Yamada qu'il va fonder la Daiichi Eiga Production, toujours à la recherche de plus d'indépendance.

Désormais, il va poursuivre, non sans difficultés, son parcours en réalisant des films qui à chaque fois se montreront soit visionnaires, soit révolutionnaires. Et surtout, le Japon s'enfonce dans la folie fasciste: le contenu de ses films, replacés dans ce contexte témoignent de sa formidable intelligence et de son courage.

En 1936, le film "Les soeurs de Gion" est un succès populaire. Mais la Shochiku a complètement raté la distribution. La Daiichi Eiga est en difficulté et bientôt Mizoguchi se retrouve sans emploi.
L'année suivante, la Chine est attaquée par le Japon, ce qui signifie que de nombreuses restrictions vont être encore une fois appliquées.

La réalisation du film Roei no Uta en 1938 lui vaudra la haute considération des autorités: ce film de commande pour soutenir l'effort de guerre ne reflète en rien les idées de Mizoguchi. Ce dernier ne milite plus ouvertement pour ses idées humanistes.

D'ailleurs, les responsables de la Shochiku, la plus grande maison de production cinématographique nippone, décident d'embaucher Mizoguchi en 1939, persudadés qu'il est maintenant "rentré dans les rangs".

En 1940, ses films sont reconnus au Japon et il reçoit même des prix du Ministère de la Culture. D'ailleurs certains de ses amis pensent qu'il a des contacts avec le gouvernement.

En plein conflit mondial, une fois de plus Mizoguchi est mis à contribution pour attiser l'élan patriotique des japonais. Il va tourner une nouvelle version de la célèbre histoire des 47 ronins (Genroku Chûshingura).
Il va échapper à l'emprisonnement (de nombreux intellectuels et artistes furent arrêtés) en réalisant une version de Miyamoto Musashi et L'épée Bijomaru.

Après la fin de la guerre, la gauche japonaise reprend son élan. Mizoguchi suit ce renouveau. De plus, la production cinématographique nippone redevient dynamique.
Avec satisfaction, il voit les femmes voter pour la toute première fois en 1946. Il tourne cette même année La victoire des femmes (Josei no shori) qui est un véritable témoignage sur le souffle de liberté qui s'était levé au Japon.

En 1949, le peuple et surtout les communistes ne supportent plus la présence des étrangers. Les autorités vont sévèrement réprimer le mouvement. Le milieu du cinéma n'est pas épargné. Mizoguchi décide de ne plus tourner car il craint d'être emprisonné. En 1950, il quitte la compagnie Shochiku. Ses faveurs vont aller du côté de la Shintoho pour laquelle il réalise Le destin de Madame Yuki.

La Daiei est dirigée alors par un ami de longue date du réalisateur. Ce dernier lui propose de diriger Mademoiselle Oyu. De plus, il lui épargnera de nombreuses tracasseries avec les autorités en le protégeant des répressions sociales jusqu'à sa mort.

En 1952, il réalise La vie d'Oharu, femme galante. Les occidentaux découvrent ce grand cinéaste grâce au Lion d'argent que ce film reçoit à Venise.
L'année suivante, il réitère son exploit en recevant un Lion d'argent pour son film qui demeure le plus célèbre: Ugetsu Monogatari (Les contes de la Lune Vague après la Pluie).

En 1954, L'intendant Sansho et Les amants crucifiés reçoivent un Lion d'Argent au festival de Venise.

C'est en 1956 après avoir réalisé La rue de la honte que le réalisateur succombe le 24 Août 1956 d'un cancer de la moëlle épinière. Il est alors âgé de 58 ans.